Les Illusions perdues
« Quand elle arrivait dans mon quartier, avec sa belle voiture, ses bijoux, ses beaux vêtements, son sac de marque… elle me disait, viens travailler en Europe, tu vas gagner beaucoup plus.
Je n’ai pas pu résister. Je me suis laissée étourdir, je n’ai pas écouté les conseils que l’on me donnait. J’ai pensé : elles sont jalouses… et j’ai tout vendu. Ma maison, ma voiture, mon salon de coiffure qui marchait bien ! Et je suis venue en France.
Mais ce qu’on ne sait pas, c’est que lorsque tu arrives ici, c’est un autre monde, une tout autre vie. Tu ne parles pas la langue, ton diplôme de coiffure n’est pas reconnu, tu n’as pas de papiers… tu dois survivre. Et le seul moyen pour nous c’est la prostitution. Je ne m’étais jamais prostitué.
Tu ne savais pas que tu risquais de mourir, d’être battue, agressée, insultée, devenir une marchandise, une machine à faire de l’argent, si tu l’avais su avant de partir tu ne partirais peut-être pas ! peut-être pas ! mais on ne veut pas écouter les conseils…
Les gens se demandent mais alors pourquoi je ne suis pas retournée dans mon pays ?
Et bien je vais répondre : tu as cette douleur d’être partie et de revenir sans rien. »
Fais ce métier avec dignité
« Après avoir vécu tant d’années ici, je suis heureuse de ce que je suis, de ce que j’ai fait. Car peut-être que nous, les trans, sommes venues en Europe pour aller de l’avant, aider notre famille, car ce n’est pas à nous que nous pensons en premier mais à notre famille, à aider notre famille.
La seule chose que je pourrai dire à une trans qui veut venir ici, c’est que si elle trouve un bon travail, décent, qu’elle le fasse. Mais si tu choisis cette vie, fais-le avec respect, avec dignité. Il faut que nous nous respections pour que les gens puissent nous respecter. Il faut dire la vérité, beaucoup d’entre nous ne se respectent pas elles-mêmes et nous voulons que les gens nous respectent et nous acceptent.
Fais-le bien ce métier et n’abandonne pas tout le reste. J’ai vu beaucoup de mes amies qui gaspillaient tout, dépensaient tout, n’aidaient pas leur famille.
Choisis cette vie pour une cause, pour quelque chose de bien. »
Les années passent, je vieillis…
« Ton corps paie les factures. Tu ne vas pas pouvoir courir toute ta vie. Viendra un moment dans ta vie, que seul dieu connait, ou tu ne pourras même plus marcher. Et si tu n’as rien fait, juste dépenser l’argent que tu gagnais, tu vas être obligée de continuer à te prostituer à 50, 60 ans…
Et là aucun homme ne viendra te dire que tu es belle, non, il viendra te dire : là-bas, il y en a une plus jeune, plus belle, plus mince qui me demande 20 et toi tu me demandes 20 ? Tiens je te donne 5.
Et comme tu n’as rien, que vas-tu pouvoir faire ? Tu vas prendre les 5 euros. »
Les clients ça abime
Dès que tu vois le client arriver, tu le cernes tout de suite. Si tu le vois tranquille, tu es tranquille. Si tu le vois soumis, tu es la dominatrice. Si tu le vois un peu agressif, tu restes un peu soumise car si tu te mets à la même hauteur, son égal, il peut t’agresser, sortir un couteau ou n’importe quoi...
Le seul moyen pour nous de gagner de l’argent, c’est la prostitution. C’est le seul, parce que l’Etat ne nous aide pas. Pourtant nous on soulage les gens qui vont travailler. Ils viennent ici, ils sont tendus, stressés et ils repartent détendus, avec un sourire. Il faudrait se faire rembourser par la sécurité sociale, parce que c’est bien de voir un psychologue, un psychanalyste, mais une fois qu’il jouit c’est différent.
Avant je travaillais aussi la nuit, tu pouvais travailler tranquillement. Maintenant non ! Ils arrivent défoncés à la coke, ils prennent de l’alcool, ils se droguent, ils te volent, t’agressent… Et puis il y a les bandes organisées qui ne viennent que pour casser, frapper, violer et même tuer. Les clients ça abime.
Maman
« A chaque fois que j’allais voir ma maman à Maracaibo, elle me demandait toujours :
— Tu n’es pas amoureux ? Tu n’as pas de fiancée ?
Et je répondais toujours : ‘’non, non’’, jusqu’à ce que je lui dise un jour : ‘’Maman, je suis gay’’.
— Qu’est-ce que c’est ? Ma maman était illettrée, elle ne savait ni lire, ni écrire.
Et puis soudain elle a compris, elle m’a prise dans ses bras et m’a dit :
— Je t’aime quoi que tu sois, tu es et seras toujours mon enfant, rien ne peut changer ça. Tu dois me promettre de prendre soin de toi, je ne veux pas que tu tombes malade.
Ça m’a donné du courage. A partir de là, je me suis transformée, progressivement. J’ai pris des hormones, puis j’ai fait mes seins en silicone, puis mes hanches. Et à chaque opération ma maman était avec moi, elle était mon infirmière. »